LEOPOLD PLOTEK: ESQUIVES
by Jean-Jacques Bernier

LA COMPOSITION DES TOILES CHEZ PLOTEK NE SE FIGE IAMAIS EN UNE IMAGE GLOBALE. LIARTISTE PROPOSE UN PUZZLE IMPOSSIBLE À ASSEMBLER D'UN SEUL COUP D'ŒIL.

Les tableaux de Leopold Plotek créent des espaces particuliers. Si particuliers qu’ils ne se laissent explorer que sous certaines conditions et ne laissent souvent filtrer que des bribes d’informations. Il faut donc y revenir pour tenter de les circonscrire, et le résultat de la seconde exploration donne souvent un tableau qui, sans différer essentiellement du premier, en est étrangement différent.

Malgré sa carrierè déjà relativement longue et l’attrait irréfutable qu’exerce une production d’une cohérence remarquable, il est difficile de caractériser le style de cet artiste en marge des courants et qui est cependant toujours resté d’actualité dans le milieu montréalais. Lui-même réfute toute démarche ou prise de position qui permettrait peut-être d’ouvrir une perspective, mais l’y enfermerait aussitôt. Le critique en sera donc réduit à faire quelques observations.

LUMINOSITÉ

Les œuvres de Plotek se présentent sous trois modes de luminosité; l’un laisse deviner et inquiète parfois plus qu’il ne décrit, obligeant le regard à scruter, à se faire inquisiteur pour interpréter les masses glauques, les perspectives instables, les enchevêtrements indéterminables. On s’y sent un peu comme dans la description qu’a faite Paulhan du cubisme: une promenade, dans le noir absolu, à travers un lieu familier.

Le second mode offre une lumière égale, étale, qui baigne uniformément la toile et l’imprègne d’une certaine sérénité. Ce monde plat privilégie les juxtapositions, les équivalences de tons, sous une fornie qui exclut linertie. Bien que paifaitement équilibrées entre elles, les masses s‘y présentent comme mouvements arrêtés, pulsations figées, arches obstruées, interstices ouvrant sur l'essence de ce qui se passe entre deux moments d‘une action; l’abstraction s’y inscrit en tant qu’emblème de ces moments plus que par les formes représentées.

Un troisième mode laisse éclater les couleurs vives, parfois criardes, dont les masses s‘entrechoquent. Les rapports exacerbés transforment successivement et sans ordre apparent certaines plages en pivots de leurs voisines, instituant par les charnières ainsi créées un va-et-vient des plans, ballet aux consonances mécaniques. Les angles souvent acérés des différents éléments y apponent alors une note aggressive, l’égèrement menaçante.

MÉANDRES

L'espace, dans tous les cas, refuse de s'ouvrir à l’œil. Non qu‘il ne soit pas suggéré, et pas seulenient à l’occasion, mais du fait que son opacité l’emporte invariablemnt. Exemple frappant: les éléments d’architecture que Plotek insère depuis longtemps dans certaines tableaux. Les arches de Plotek privent l‘architecture de sa fonction d‘habitat et se muent en lignes, en élancées. L‘espace huniain qui devrait y être associé disparaît, et on remarque d‘autant plus ce repére qu’il nous fait défaut.

Plotek passe aussi de la forme architecturale a l'imagerie qui commande son style; les feuilles d'acanthe de la margelle d’un puits deviennent prétexte à l’élaboration d'un labyrinthe spatial qui aplatit la toile où la présence de cette margelle avait établi un semblant de perspective.

À d’autres occasions, la figuration, qu’elle soit fidèle ou qu'elle se situe quelque part dans l’échelle de l'abstraction, ne permet pas de situer les éléments du tableau les uns en fonction des autres. Les tableaux où elle semble la plus présente sont ceux de faible luminosité, où l'œil devine plus qu'il ne distingue. On ne peut s’empêcher d’y sentir la présence d’un filtre, qui serait le plan de la réalité, comme la surface de l’eau est un plan à travers lequel on peut discerner un fond marin. Ce plan établirait par contraste et d’une certaine façon un espace de la rêverie, ou encore l’espace étrange du souvenir incertain.

PLURIVOQUES

Le nombre d’éléments ou d’ensembles aisément identifiables, d’importance comparable et non répétitifs que comportent les compositions de Plotek varie énormément, mais ne se situe jamais sous le nombre de sept, chiffre clé; c’est en effet le nombre d’éléments que peut retenir en une seule séquence la mémoire humaine. A pattir de cinq et a plus de sept la mémorisation, même à court terme, devient difficile (c’est pourquoi nos numéros de téléphone de sept chiffres sont divisés en séquences plus petites). Il faudra donc pour tenir compte de ce que l’on voit sur la toile, reprendre à plusieurs reprises le processus de perception, la composition ne se figeant jamais en une image d’ensemble, une impression qu’il serait possible d’emmagasiner.

L’efficacité du dispositif serait alors accrue par les fausses pistes indiquant la possibilité qu’un espace illusionniste existe dans ces toiles. La negation de cet espace, l’impossibilité de determiner une organisation globale là où on la cherche (car elle existe) aboutissent à la création d’un surprenant puzzle où il faut se garder d’assembler les pièces.