Six peintures funambules 1979
by G.T.

Les 6 propositions picturales des oeuvres de Luc Béland, Lucio de Heusch, Christian Kiopini, Chris Knudsen, Richard Hill et Leopold Plotek qui occupant ces jours-ci deux salles du Musée des beaux-arts de Montréal constituent une passionnante mise en situation de certains des élèments les plus sérieux de la jeune peinture québécoise.

ll n'y a point d‘équivoque possible devant l'ampleur des formats et le champ de travail respectif de ces six peintres: cette peinture mérite la place qu'on lui donne dans le musée de la rue Sherbrooke. Elle s'attaque d‘emblée aux codes modernistes et au problème fort actuel de leurs dépassements; et elle touché, soit en les réinstallant on en les rejetant; divers systèmes picturaux; bref, elle est de son temps.  

Chez Knudsen et Kiopini, par exemple, ce sont les allusions au système perspectiviste qui instaurent la trame des oeuvres. Knudsen se sert d’un fond quadrillé qu'il couvre d’une géometrie de jeux d'arcs, d'angles pour ensuite investir ses surfaces de couleurs (soit par exemple un voile jaune ou un rouge opaque). La mise au carreau chère à la Renaissance demeure ici caduque. Il ne subsiste plus d’elle devant les recouvrements formelles et les jeux compositionnels que sa structure fort moderne de grille. Chez Kiopini, outre le caractère gestuel qui émane dans la couleur de ses deux tableaux, un système de vecteurs, créé par la superposition de toiles découpées sur le support, rappelled, en lui déniant cependant son caractère illusionniste, des configurations perpectivistes.

Quant à Luc Béland, il apparait un peu dans l’ensemble de l‘exposition comme le chien dans le jeu de quilles. Son tableau (fait d'une toile peinte et suspendue sans chassis) intitulé Anacoluthon: dans l’ombre de Billie Holiday chevauche le traitement expressioniste des surfaces et celui d’une oeuvre qui témoigne à tout instant de sa genèse à travers le traitement sériel du motif du carré. Ce cadrage en quelque sorte du traitement expressionniste par la série, le collage, le graffiti, la grille, indique —— et c’est là la visée à la fois la plus audacieuse et la plus dangereuse de Béland - une volonté de ne pas ramener l’expression à de simples valeurs individuelles et anecdotiques. Ce tableau qui prend les plus grands risques de retomber dans une peinture des années cinquante n’en est pas moins le plus frondeur de l’exposition.

Richard Mill de son côté qui présente deux tableaux aux textures extrêmement séduisantes et chatoyantes (deux Sans titre de 1978) dessine des bandes à même la couleur qui sont disposées de façon géométrique à même la surface all-over. Malgré la grande sensualité et la densité dynamique des oeuvres, il y a là une grande orthodoxie à la peinture moderniste. C’est aussi le cas de Lucio de Heusch avec deux tableaux qui présentent un chevauchement contrôlé et à peu près équitablement distribué de taches chromatiques riches qui jouent à cache-cache avec des cadrages tantôt reels tantôt virtuels qui n’annulent en rien la planéité de la surface. Le tableau intitulé Peinture no 19 cependant est couvert d‘un rouge saturé qui brise l'équilibre et qui détruit l’effet de surface plane.

Enfin Leopold Plotek est certes celui dont les oeuvres comportent le plus de résidus historiques malgré l‘intérêt des grundes surfaces chromatiques. D‘abord ses oeuvres contiennent des formes en general géométriques qui riment plus ou moins avec le support. Ensuite elles sont construites bien souvent selon une hiérarchie de plans qui rappelle des modèles extra-picturaux dont les plus évidents sont ceux de l‘architecture. Là aussi les vestiges de codes représentatifs illusionnistes luttent avec les affirmations modernistes du plan.

L‘exposition nous révèle done de la sorte le côté funambulesque des enjeux de cette peinture. Elle doit se tenir en équilibre entre les acquis de l’histoire récente, les références culturelles de l’histoire de la peinture plus ancienne et l'impérieuse nécessité de ne pas tomber les yeux fermés dans la redite.

En ce sens, les tableaux de Plotek, Mill et de Heusch sont moins passionnants que ceux de leurs confrères parce qu’ils sent plus «classiques». Ceux de Knudsen et de Kiopini proposent une intéressante solution quant à la façon d’inclure des références historiques lointaines, de respecter les acquis modernistes et de faire place à des pulsions gestuelles et chromatiques nouvelles. Enfin Béland intégre pour sa part tous ces systèmes mais avec un fort penchant pour une sorte d‘expres- sionnisme régressif. Mais là-dessus, je préfère attendre la suite avant de conclure prématurément.

SIX PROPOSITIONS, tableaux de Luc Béland, Lucio de Heusch. Christian Kiopini. Chris Knudsen, Richard Mill et Leopold Plotek au Musée des beaux-arts de Montréal, jusqu'au 2 décembre 1979.